Support pédagogique sur le commerce equitable : critiques et espoirs
Support pédagogique sur le commerce équitable : critiques et espoirs
Le commerce équitable rencontre un succès de plus en plus large. En 2005, plus de 70 % des Français avaient entendu parler de cette initiative. Une personne sur deux aurait déjà acheté des produits issus de cette filière * . Par sa force d'évocation positive, le commerce équitable suscite l'adhésion. Il suggère des échanges commerciaux justes, réciproques, solidaires. Il nous est présenté comme une solution efficace pour diminuer les inégalités Nord/Sud, une alternative aux nuisances de la mondialisation capitaliste. Qui oserait s'ériger contre tant de bonnes intentions ? Nous allons pourtant questionner les présupposés, les principes et la réalité du commerce équitable. Remettre en cause une idée consensuelle est toujours un exercice délicat. Les précédentes versions de cette brochure ont suscité des réactions contrastées, tantôt enthousiastes, tantôt indignées (voir chapitre IV). Nous avons tenu compte des critiques constructives reçues pour rédiger cette nouvelle version.
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- Longue vie à la domination occidentale
Il s'agit de donner aux producteurs du Sud les moyens de s'engager eux-mêmes dans une dynamique de développement. [...] Le label [Max Havelaar] contribue à l'instauration d'une économie transparente, qui prend en compte les valeurs d'un développement humain et durable. Extrait du site de l'association Max Havelaar France, février 2005
Le commerce international génère des inégalités ; la mondialisation capitaliste plonge les producteurs des pays du Sud dans la précarité. * A partir de ce constat partagé par tous les acteurs du commerce équitable, nous pourrions imaginer des associations occidentales tenant aux producteurs des pays du Sud le discours suivant : Vous vivez dans la précarité à cause d’un commerce international injuste ? Nous vous encourageons à lutter contre les politiques internationales et locales qui génèrent ce système inique, à sortir de ce système infernal, à cesser d’exporter et choisir votre propre mode de développement. Révoltez-vous et construisez des alternatives ! Ce n’est pas le message porté par le commerce équitable. Celui-ci pourrait plutôt se résumer par : Gardez espoir ! Nous allons créer ensemble un commerce international plus juste, où tout le monde sera gagnant.
Pour parvenir à ces fins, le commerce équitable tente de mettre en place, au sein du commerce international, des règles avantageant les petits producteurs par rapport aux conditions commerciales habituelles. Par exemple, les entreprises de transformation et de distribution occidentales s'engagent à acheter les récoltes à un prix minimum garanti ou plus élevé que le cours mondial, à apporter un éventuel soutien technique ou financier. En contrepartie, les coopératives du Sud s’engagent à fonctionner de manière démocratique, à respecter les normes édictées par l'Organisation Internationale du Travail* , à utiliser les bénéfices pour améliorer l’outil de production ou mettre en place des actions de développement (écoles, routes, etc.).** Autrement dit, il s’agit ''d‘humaniser'' le commerce international pour ''corriger'' sa tendance inégalitaire et précarisante. En toile de fond, nous retrouvons l'idée selon laquelle capitalisme, équité et justice sociale sont compatibles si des réformes adéquates sont mises en place.
Nous retrouvons également l'imaginaire du développement, selon lequel le bien-être économique est l'une des principales sources de bien-être social.*** L’espoir d’une telle initiative réside dans le pari de la contagion ; si tous les consommateurs, rebaptisés pour l'occasion « consommateurs responsables » ou « consom'acteurs », se mettent à boycotter les produits non équitables, toutes les autres filières commerciales et industrielles seront forcées de rejoindre cette alternative. Elles généraliseront des règles sociales bannissant la précarité. Les producteurs des pays du Sud pourront ainsi vivre dignement de leur travail, et les actions humanitaires seront inutiles. C'est le sens du slogan « Trade, not aid », ''du commerce plutôt qu'une assistance'', repris par plusieurs campagnes anglosaxonnes en faveur du commerce équitable. ***
Ces espoirs sont-ils fondés ? Le commerce équitable peut-il réellement contrecarrer la domination commerciale des pays du Nord ? Il est permis d'en douter. Même si tous les produits du Sud vendus au Nord étaient issus du commerce équitable, l'échange resterait profondément inégalitaire, pour plusieurs raisons :
- La valeur ajoutée des produits reste au Nord. Usines de torréfaction, chocolateries, conserveries : la quasi-totalité de l’industrie de transformation des matières premières est occidentale. Comparée au prix de vente final du produit, la part revenant aux petits producteurs reste faible. Elle est de l’ordre de 0,5 à 5 % dans le commerce international classique. Avec le commerce équitable, elle avoisine au mieux les 10 à 20 %* . Mais, globalement, les pays occidentaux -en premier lieu les multinationales- maintiennent leur position dominante. Hormis quelques initiatives exceptionnelles, les petits producteurs du Sud restent dans l’incapacité économique et technique de créer leurs propres filières de transformation. Pour augmenter leurs profits, ils sont contraints de suivre la logique productiviste : toujours plus de rendements, de qualité et de quantité pour espérer davantage de revenus.
- La logique reste exportatrice. Les pays du Sud produisent pour les pays du Nord. Généralement, eux-mêmes ne consomment pas les produits finis. Par exemple, la consommation de café par les Ivoiriens ou de chocolat par les Colombiens est anecdotique** . Pour réaliser à quel point les pays occidentaux n’ont aucun intérêt à ce que les pays du Sud deviennent réellement autonomes, il suffit d'imaginer la situation si les pays du Sud décidaient d’arrêter de produire et d’exporter des matières premières. L'Occident serait en crise. Métaux, uranium, pétrole, produits alimentaires... : les industries du Nord sont dépendantes d’un apport massif de matières premières du Sud. Depuis la colonisation, le contrôle direct ou indirect des ressources des pays du Sud est l'une des principales motivations des politiques étrangères occidentales. ***
- Les principales causes de l'appauvrissement restent inchangées. En étudiant les causes de la dette des pays du Sud, nous constatons que le commerce international n'est pas le seul facteur d'appauvrissement. Il faut y ajouter les nuisances de la finance internationale, l'idéologie du développement, les régimes corrompus soutenus ou mis en place par les Etats occidentaux, et surtout les conséquences des politiques internationales des pays industrialisés. **** Par exemple, la situation économique de l'Argentine est principalement le résultat de la politique impérialiste des Etats-Unis. Tout comme la situation du Tchad est principalement le résultat de la politique française.
Productivisme, économie basée sur les exportations, épuisement des ressources naturelles, faible valeur ajoutée, endettement, népotisme... Depuis la colonisation, ces tendances des relations Sud/Nord sont inscrites au coeur du système capitaliste et impérialiste occidental. Elles ont généralement été reprises et encouragées par l'idéologie du développement.* Pour rompre avec cette logique de domination, les transformations nécessaires ne sont pas seulement économiques, elles sont avant tout politiques. Comme le soulignait par exemple François-Xavier Verschave à propos de l'Afrique francophone, « quand vous regardez de près la situation d’un certain nombre de pays d'Afrique, vous voyez que ces pays ont toutes les ressources humaines et matérielles pour s’en sortir. Seulement, les ressources matérielles sont complètement détournées, et les ressources humaines valables sont mises en prison, en exil ou éventuellement corrompues : on a bien affaire à un problème politique. »** Vu sous cet angle, l'espoir réside moins dans la « consom'action » occidentale que dans l'extension des luttes sociales et des actions collectives pour la démocratie, au Nord comme au Sud.
Le commerce équitable, un ''moindre mal'' ?
Chaque année, à l'occasion de la Quinzaine du commerce équitable*** , des associations ou des entreprises de commerce équitable invitent des petits producteurs à s'exprimer lors de tournées en France. Ces producteurs sont évidemment enthousiastes. Pour eux, quelles que soient les critiques, le commerce équitable constitue un commerce « moins pire » ou « moins injuste » que le système classique. Nos critiques leur paraîssent souvent déplacées, voire insultantes. De fait, les producteurs du Sud sont très nombreux à souhaiter participer au commerce équitable. Indéniablement, cette initiative suscite un engouement au Sud. On estime entre 1 et 3 millions le nombre de producteurs bénéficiant des conditions du commerce équitable. Il faut bien prendre en compte cette pression des producteurs pour comprendre l'importante motivation des militants occidentaux concernant le commerce équitable. Mais cet engouement ne doit pas endormir notre esprit critique.
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- L'impasse écologique
Dans certaines publicités, le commerce équitable est associé au concept de développement durable ou à la préservation de l'environnement. Il s'agit d'une imposture. Dans un monde où tous les produits seraient issus du commerce équitable, la destruction accélérée de notre environnement ne serait pas évitée. Les avions, bâteaux et camions qui transportent les produits équitables sur des milliers de kilomètres contribuent au réchauffement planétaire, à la pollution de l'air et des océans. Les emballages des produits du commerce équitable sont identiques aux produits de consommation classiques (suremballages, films plastiques, pas de ventes en vrac, etc.). Ils rejoignent les centaines de kilogrammes de déchets ménagers rejetés chaque année par chaque Français.
Cette critique ne concerne évidemment pas les seuls produits équitables, mais tous les produits consommés en Occident* . En Europe, notre empreinte écologique** est si élevée que si tous les habitants de la planète avaient un mode de vie identique au notre, il faudrait une surface totale équivalente à deux planètes Terre supplémentaires.
Pour ces raisons, commerce équitable et écologie sont incompatibles. Qui souhaite se nourrir de la manière la plus ''écologique'' possible consommera des fruits et légumes de saison, produits localement, des céréales cultivées le plus près possible de chez soi, évitera au maximum les produits exotiques, équitables ou non, et éliminera de sa consommation les produits issus de cultures transgéniques ou ayant nécessité l'usage de pesticides et insecticides de synthèse. Pour expliciter davantage notre position, prenons l'exemple de l'empreinte écologique du jus d'orange. Un produit anodin, banal. Et pourtant... 90% du jus d'orange produit dans le monde est consommé en Europe, au Japon et aux ÉtatsUnis. Plus de 80% du jus d'orange bu en Europe provient du Brésil, principal producteur mondial.
L'Allemagne est le plus gros consommateur mondial, avec 21 litres par habitant et par an. Le jus d'orange effectue un voyage d'environ 12 000 kilomètres pour aller du Brésil en Allemagne. La fabrication du jus d'orange nécessite de l'eau et du pétrole. Le pétrole sert comme énergie pour le procédé de concentration du jus, pour le transport et la congélation. L'eau est, quant à elle, évaporée lors de la phase de concentration, puis diluée après l'arrivée en Allemagne. En tout, chaque tonne de jus d'orange brésilien nécessite environ 100 kilogrammes de pétrole et 22 tonnes d'eau. Ces chiffres ne tiennent pas compte de l'énergie utilisée pour obtenir le pétrole et la fabrication des usines de transformation.
Aux États-Unis, où la culture des orangers nécessite une irrigation intensive, un litre de jus d'orange nécessite en moyenne 1 000 litres d'eau et 2 kilogrammes de pétrole. Rapporté aux surfaces agricoles nécessaires, il faut environ 24 mètres carrés de terrain pour produire les 21 litres de jus d'orange que boit annuellement un Allemand. Autrement dit, la consommation totale annuelle de jus d'orange, en Allemagne, nécessite 150 000 hectares au Brésil, soit trois fois plus que la surface consacrée aux cultures fruitières en Allemagne. Si tous les habitants de la planète consommaient autant de jus d'orange, il faudrait des orangeraies sur plus de trois fois la superficie totale d'un pays comme la Suisse. Pour le seul jus d'orange. Équitable ou non.**
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- La démocratie au fond des caddies
Les slogans du commerce équitable présentent souvent l'acte d'achat comme un vote démocratique. Le pouvoir d’achat serait pour le « consomm'acteur » l’un des derniers pouvoirs disponibles pour ''corriger'' le système capitaliste. Derrière cette rhétorique, nous retrouvons une idée centrale de la philosophie libérale (qui se présente comme la seule voie possible) : l'idée selon laquelle le consommateur serait roi et orienterait par ses choix de consommation la production de marchandises. La réalité nous semble bien différente. Notre pouvoir de consommateur est en effet très relatif :
- Les industries influencent nos choix par la publicité. Dans la rue, à la radio, à la télévision, nous entendons ou croisons 100 à 300 slogans publicitaires par jour, plusieurs millions en l'espace d'une vie. Ce matraquage permanent oriente nos désirs, nous habituant dès l'enfance à envisager le bonheur par la consommation.* Les capacités d'influence des industries sont sans commune mesure avec celles des consommateurs, quand bien même ils se regroupent en association, en mouvements politiques, etc. Rien qu'en 2004, les industriels ont dépensé plus de 11 milliards d'euros en publicité. **
- Nos choix restent très limités. Nous pouvons seulement choisir parmi des produits déjà commercialisés.
- Nous sommes à la merci de toutes les impostures, tels les pseudo-labels concernant les produits équitables ou biologiques. Car, au-delà des slogans publicitaires et de quelques garanties labellisées, nous ne savons presque rien de ce que nous consommons : lieux et conditions de production, origine exacte des matières qui constituent les produits, impacts écologiques et sociaux, devenir des produits une fois usagés, etc. Le consommateur, même organisé en ''Union fédérale des consommateurs'' ***, n'a qu'un pouvoir très faible sur les industries et une connaissance infime des centaines de milliers de produits commercialisés.
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- Vers un capitalisme à visage humain ?
Face aux critiques exposées jusqu'ici, la réponse de la plupart des acteurs du commerce équitable pourrait se résumer ainsi : « Vous en demandez trop. Le commerce équitable n’est pas un mouvement politique. Nous nous concentrons exclusivement sur l’aide aux petits producteurs. » Les associations de commerce équitable se présentent d'ailleurs souvent comme « apolitiques ». Apolitique, le commerce équitable ? Bien au contraire, il est hautement politique, si par ce terme nous désignons tout ce qui concerne l'organisation d'une société. Partant du principe qu'un ''bon'' développement est possible, qu'il existe un ''bon'' capitalisme ou une ''bonne'' mondialisation***, le commerce équitable propose une réforme des échanges Nord/Sud. Ce faisant, il légitime l'idéologie du développement et de la mondialisation capitaliste. Le concept de commerce équitable, comme celui de développement durable, nourrit l'idée selon laquelle équité ou écologie sont compatibles avec la société capitaliste industrielle, les réseaux de grande distribution, les multinationales, le style de vie consumériste, ou encore les politiques internationales des puissances occidentales. Vu sous cet angle, le commerce équitable n'est pas un simple appui aux petits producteurs des pays du Sud, mais également un appui politique et idéologique au système capitaliste. Certes, beaucoup de militant-e-s du commerce équitable sont critiques vis-à-vis du système économique actuel, de la spéculation sauvage, du pouvoir des multinationales, de la marchandisation des rapports sociaux, du creusement des inégalités ou encore du travail des enfants. Mais contrairement aux mouvements anticapitalistes, ils ne proposent pas de rupture radicale avec le système dominant.
Ils prônent plutôt son ''réaménagement'', c'est-à-dire la mise en place de réformes permettant de conserver les ''bons'' côtés de la mondialisation (le chocolat, les bananes, le tourisme, l'électronique à bas prix, etc.) et supprimer ses ''mauvais'' côtés (l'esclavage moderne, les délocalisations, la pollution, etc.). Autrement dit, la transformation du capitalisme ''sauvage'' en capitalisme ''à visage humain''. Pour nous, cet espoir est une illusion. Les mécanismes de la Françafrique, la dette des pays du Sud ou encore l'essor des paradis fiscaux et judiciaires montrent à quel point le profit et l'exploitation forcenée constituent le moteur central du capitalisme. Ce système social, basé sur la recherche de gain à tout prix, l'accumulation du Capital et la propriété privée, néglige, structurellement, les besoins de l'humanité. Il est certes possible de mettre en place des contre-pouvoirs permettant d'en limiter les nuisances.
Mais fondamentalement, le capitalisme est un système social nuisible. A nos yeux, il est illusoire de penser que Total, Nike ou Coca-Cola s'intéresseront un jour réellement à la liberté et au bien-être des populations. * La raison d'être des multinationales, leur structure juridique même, est la recherche du profit maximal par tous les moyens (exploitation de la main d'oeuvre, délocalisations, pillage des ressources, pollution, ingérence, clientélisme, etc.). Même si des avancées sont possibles, elles ne peuvent être que limitées. Prenons l'exemple du pétrole : les compagnies pétrolières pourraient certes accepter de mieux rétribuer les pays producteurs. Mais en aucun cas elles ne cesseront le soutien aux dictatures ou le clientélisme, condition même de leurs possibilités d'exploiter le pétrole. ** En revanche, les multinationales utiliseront de plus en plus l'image ''écologique'' ou ''éthique'' pour faire la promotion de leurs produits.
Des constructeurs automobiles comme Honda présentent déjà leurs modèles en fonction de leur impact environnemental, avec des slogans comme « allégez votre conscience ». Des labels de commerce équitable répondant à des normes moins contraignantes sont en préparation.*** Plus la demande de produits équitables deviendra significative, plus la machine commerciale s'adaptera pour faire du profit avec cette nouvelle tendance, se contentant, pour l'essentiel, de faire coïncider la demande des consom'acteurs avec l'image des produits proposés. Ces tentatives seront, à coup sûr, des succès, car la machine de propagande commerciale est d'une puissance sans commune mesure avec celle du milieu associatif. Demain, une multinationale peut très bien lancer une campagne sans fondement sur le thème « Nous contribuons au commerce équitable : chaque produit de notre marque respecte le cahier des charges du commerce équitable ». Bien que beaucoup de personnes ne soient pas dupes, l’impact sur l’imaginaire collectif est suffisamment important pour donner l'impression que les multinationales sont en mesure d'allier capitalisme, éthique et écologie.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas remettre en cause les fondements même du système capitaliste ? Au lieu de tenter de ''changer les règles du jeu'', pourquoi ne pas remettre en question le sens du jeu lui-même ? Bien sûr, cette position semble idéaliste. Le jour de la chute du capitalisme n'est pas encore arrivé... Mais, pour qui est convaincu de la nécessité d'une rupture avec les logiques actuelles, il est indispensable de combattre les idéologies qui tendent à éloigner toujours plus loin l'imaginaire anticapitaliste. C'est en ce sens que le commerce équitable peut être soumis à de vives critiques et présenté comme une promotion de ''l'horreur atténuée'', un endormissement de l'action politique radicale, un facteur de dépolitisation.
Si, à l'heure actuelle, le dépassement du capitalisme est un objectif qui paraît lointain et inaccessible, ce ''doux rêve'' ne nous semble pas plus invraisemblable qu'un ''bon'' capitalisme, juste, fraternel, écologiste ou équitable. Il est permis de douter qu'un monde où tous les produits seraient équitables verrait la fin des licenciements massifs, du travail aliénant, de la domination Nord/Sud, de la crise écologique, etc. Et les avantages que retirent actuellement les producteurs des pays du Sud grâce au commerce équitable semblent dérisoires comparés à l'extension des crises politiques, sociales et écologiques mondiales. Pour toutes ces raisons, le commerce équitable peut être perçu comme de ''parfaites menottes''. Là où le commerce international ''classique'' crée une pauvreté insoutenable, le commerce équitable pourrait, au contraire, maintenir les populations du Sud en état de survie suffisant, voire confortable... tant qu'ils continuent à exporter leurs ressources naturelles jusqu'à épuisement. Dans quelle mesure le commerce équitable enferme-t-il ainsi les producteurs du Sud dans une logique Nord/Sud tôt ou tard désastreuse ?
« Ce sont parfois les mêmes qui trouvent pratique, voire ''génial'', de pouvoir faire leurs courses par Internet ou commander une pizza par téléphone, et qui par ailleurs militent ou pétitionnent contre la précarité et les mauvaises conditions de travail. Comme s'il était possible que les livreurs de pizza (ou toute autre sorte de soutiers de l'économie des services) soient traités décemment par des entreprises de dimension industrielle pour lesquelles la notion de qualité de service se réduit à un temps mesurable (de transport, de dépannage) et à quelques formules stéréotypées imposées aux salariés, afin de réchauffer et réenchanter artificiellement une relation commerciale profondément immergée dans les eaux glacées du calcul bureaucraticomarchand. Bien sûr, il ne s'agit pas d'assimiler tous ceux qui disent oeuvrer pour une « société plus égalitaire » ou une « mondialisation plus humaine » avec les partisans les plus fanatiques de l'ultra-libéralisme. Mais il est crucial de souligner qu'il n'y a pas grand sens à plaquer une idéologie d'amour et de fraternité universelle sur ce que nous sommes en train de faire du monde. »